Extrait du livre ARCHÉOLOGIE AU PAYS DE FORCALQUIER, Radioscopie d’un territoire, par André D’Anna, André Muller, Guy Barruol, Jacques Jaubert, Jean Guyon, Jean-Yves Royer, Rollins Guild, Aux éditions Alpes de Lumière, 1990.
Le mobilier paléochrétien de l’église de Limans
L’église paroissiale de Limans, bourgade rurale située dans les collines à 10 km au nord-ouest de Forcalquier (Alpes-de-Haute-Provence), dominant la Laye, présente la particularité de conserver dans ses murs un mobilier de sanctuaire de haute époque tout à fait exceptionnel : composé d’un autel tabulaire et de trois panneaux décoratifs en marbre blanc, appartenant sans conteste à un même ensemble — par ailleurs sans égal dans tout le Midi de la France —, il constitue, avec quelques autres autels (Riez, Digne…), de rares sarcophages ornés (Manosque, Apt…) et de modestes épitaphes (Salagon, Banon, Ganagobie, Peyruis…), un des plus sûrs jalons des premiers siècles chrétiens en Haute-Provence. On ajoutera cependant à cette série mobilière les édifices de culte — récemment révélés par la fouille — de Riez, Digne et Saint-Jean de Taravon à Volonne.
P. Martel fut le premier, en 1955, à attirer l’attention des spécialistes sur ces pièces originales, alors dispersées en divers points de l’église : couronnant un socle cubique de maçonnerie moderne, sur le devant duquel on avait disposé l’un des trois panneaux sculptés (n° 1), l’autel occupait un recoin obscur de l’église (à droite en entrant) et servait alors de fonts baptismaux ; une autre dalle sculptée (n° 2) était scellée au sol en avant du chœur, recouvrant vraisemblablement une sépulture presbytérale moderne ; le troisième panneau décoratif enfin (n° 3) était en remploi dans le tympan du portail occidental de l’église, qui correspond manifestement à un aménagement de la fin du XIXe siècle, la porte primitive de l’édifice, aujourd’hui obturée, se trouvant au nord. Classées parmi les Monuments historiques en 1956 et 1957, ces pièces furent dès lors étudiées, publiées en 1964 et leur mise en valeur entreprise : grâce à l’intervention de l’abbé H. Brau, l’autel et la dalle n° 1 furent transférés et remontés dans le chœur alors restauré et la dalle n° 2 descellée et déposée au fond du chœur ; quant à la troisième, jusqu’à présent insérée dans le tympan du portail, l’opportunité de la présente exposition devrait en permettre la dépose en ce printemps 1990 et par là-même une étude plus précise. Indissociable, cet ensemble unique et précieux pourrait désormais être plus dignement présenté dans le chœur de l’église de Limans.
Remployées dans un édifice de style gothique, dans lequel on ne devine aucune trace d’église antérieure au Moyen Âge, ce mobilier de haute époque proviendrait, selon la tradition orale locale, récemment encore confirmée, d’une église rurale aujourd’hui disparue, située au pied du village, en bordure de la Laye, à 200 m au sud du Moulin de Pangon, sur un itinéraire traditionnel. Cette église, sous le vocable de saint Vincent (s’agirait-il de celui qui est honoré à Digne ?), — ecclesia sancti Vincentii de Limans vers 1000/1020 — qui est en outre le patron du village (le titulaire de l’église paroissiale étant saint Georges), comptait, au début du XI’ siècle, parmi les prieurés ruraux dépendant du monastère de Carluc à Céreste, lui-même placé sous la dépendance de l’abbaye de Montmajour à partir du début du XIIe siècle. Un site gallo-romain important a été repéré par prospection tout autour de Saint-Vincent ; enfin, selon une information recueillie dans les années 1950 de M. Paul Fabre, il y aurait eu dans un mur des bâtiments de Saint-Vincent « une croix de Malte et une tête sculptées » et, aux abords, « cinq sarcophages inexplorés ».
Si cette origine peut être retenue, il faut imaginer que ces pièces de mobilier d’église ont été transférées de Saint-Vincent à l’église paroissiale de Limans à une époque point trop ancienne pour qu’on ait pu en garder localement le souvenir : ce pourrait être à l’occasion de l’ouverture du portail occidental de l’édifice (deuxième moitié ou mieux dernier quart du XIX’ siècle), puisqu’aussi bien une des dalles sculptées a été insérée dans son tympan, dont les dimensions ont été manifestement guidées par celles de la plaque décorée n° 3. Il paraît dès lors fort vraisemblable que la récupération et la mise en valeur de ces dalles sculptées et de l’autel soient le fait du curé de Limans auquel l’on doit l’ouverture de ce portail.
Bibliographie : G. Barruol, « L’autel et les cancels paléochrétiens de Limans (Basses-Alpes) », dans Cahiers archéologiques, XIV, Paris, 1964, p. 67-84. J. Hubert, « Note sur la date des dalles de marbre sculpté de Limans (Basses-Alpes) », dans Cahiers archéologiques, XIV, Paris, 1964, p. 85-94. G. Barruol et P. Martel, Les monuments du Haut Moyen-Age. Inventaire paléochrétien et préroman de Haute-Provence, Les Alpes de Lumière, 34, 1964, 96 pages. M. Buis, La sculpture à entrelacs carolingienne dans le Sud-est de la France, thèse de 3e cycle inédite, Université de Provence, 1975, 3 volumes.
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